• Une particularité imprévisible, voir improbable, singularisa notre famille : son intégration dans le Cercle Celtique de Cherbourg. Sans réelle racine bretonne et vivant en Normandie cet accident fut pourtant, et particulièrement pour moi, déterminante au sens profond du terme. Bercé au son du biniou et de la bombarde, initié à la danse bretonne, sensibilisé aux comtes et légendes, tout cela dans une ambiance familiale quasi clanique, je me suis parfaitement identifié à ce qui me semblait être mon ethnie. Ceci à telle enseigne qu’il m’a fallu du courage devant la vérité. De famille non bretonne, né dans le sud de la France, à Bagnols sur Cèze, dans le Gard, je dois l’accepter : je ne suis breton que par sensibilité culturelle. 

    Pourtant c’est toute la famille qui fréquentait le Cercle tous les week-end ou presque et en semaine pour les diverses leçons de danse, de musique et autres occasions. Passionné par les chants et la musique, je passais des heures auditionnant les disques que j’avais cumulés, une de mes grande fierté était d’être talabardeur, sonneur de bombarde, au bagad. Assez bon danseur, plus vieux, j’aimais participer aux festou-noz ; et le port du costume me faisait me tenir droit, fier, il me semblait me donner une noblesse qui se faisait l’écho des légendes et récits que j’aimais lire. 

    Un rendez-vous marqua mon âme bretonne et chrétienne, la Saint-Yves que le Cercle Celtique de Cherbourg célébrait avec ferveur. Un véritable pardon en milieu champêtre avec, à vue la mer, « Ar Mor », à quelques kilomètres de là, de l’autre côté des talus aux ajoncs fleuris de jaune du bocage de la Hague.  La messe introduite par le bagad sonnant à faire fissurer les voutes de l’église, l’assemblée en costume traditionnel, les coiffes bien mises, le clergé en chasuble et les chantres portant la chape, le commun en latin, on ne l’entendait rarement la langue de l’Eglise lors des liturgies à cette époque, et le cantique à Sant Erwann chanté fort en Breton. Ces Saint-Yves sont des souvenirs qui marquèrent mon être et déjà je me sentais breton et rien d’autre ! 

     

    Ma passion de la culture bretonne fut à la fois une ossature car elle structurait ma perception du monde et m’ouvrait à des curiosités sans me perdre dans l’océan des disciplines et productions culturelles diffusées à foison. En effet, dans la curiosité dispersée l’on s’abime, à la manière d’un bateau perdu, comme dans une sorte de « grand tout ». Sans boussole ou mesure, on ne distingue plus, caractérise pas, ne hiérarchise non plus, obligé par le « tout se vaut ». Il me semble que se construisit en moi une identité bretonne qui me singularisait et qui s’est affirmée par comparaison ; c’est ainsi que je me suis découvert breton en plein cœur de Normandie. 

     

    C’est à l’orée de ma vie professionnelle, au cours de mes études d’animateur socio-éducatif et culturel que se fit consciemment et volontairement la prise en charge de mon héritage breton et donc celtique, grâce à monsieur Yann BREKILIEN qui accepta d’entretenir avec moi une abondante correspondance et avec qui naquit une complicité. Il fut le père de ma « bretonitude ». Je l’avais fait venir dire une conférence sur la civilisation celtique à l’IUT de Grenoble où je fis mes études. Trois ans après, alors jeune professionnel de l’animation, j’avais avec le soutien résolu de mon père obtenu d’orchestrer pour le Cercle Celtique de Cherbourg les festivités de ses 60ans. J’avais conçu les grandes lignes de ce projet alors que j’étais sous les drapeaux, dans le corps des Asfoy (Assistants de Foyers de la marine nationale)à St-Mandrier. Durant ce temps de service national, j’ai participé à la relance du Bagad du CIN St Mandrier. Etant donné l’envergure du projet d’anniversaire et convaincu par la qualité de son organisation, Yann BREKILIEN obtint de l’Association des Ecrivains Bretons que, pour la première fois et jusqu’à présent la seule, son assemblée générale se teint hors de Bretagne et se réunisse à Cherbourg afin de parrainer le salon des écrivains bretons et normands, cœur des festivités. Cette manifestation où se déroulèrent fest-noz, banquet, cocktail à la mairie, expositions diverses de costumes bretons et normands, de philatélie, de peintures, … entre autres, avait été l’occasion d’éditer un ouvrage collectif aux éditions Isoète, dont mon frère aîné fut cofondateur, « Regards sur la Bretagne ». 

    Cette période et ses projets me mirent en relations avec divers écrivains, auteurs, éditeurs, poètes, historiens, musiciens : Paul Yves BUREL, père Joseph CHARDRONNET, jean MARKALE, Per-Jakez HELIAS, Erwann PICARD, Simone MORAND, Yvonnig JICQUEL, Herry CAOUISSIN, Patrick ARDUEN, Yves LAPRAIRIE, Marie-Anne CARO, Joseph MARTRAY, Myrdhin, Patrick MOLARD, Yoen GOUERNIG, père Job an Irien, … 

    Toutes ses relations, ses amitiés m’immergèrent plus encore dans la culture bretonne ; son histoire qui me permit d’appréhender autrement celle assénée de l’histoire de France à l’école. Par l’intérêt à l’histoire de la Bretagne, j’ai appris à m’intéresser à l’histoire des « Pays » qui font la France. J’ai pris beaucoup de goût à lire les productions régionalistes de l’hexagone et d’Europe. Je ne peux cependant nier que mon sujet de prédilection reste la culture bretonne et celtique. A cette époque je me suis intéressé et à vrai dire passionné pour le monachisme celtique, devenant membre du Centre International de Recherche et de Documentation sur le Monachisme Celtique. Lors de ma formation au séminaire, je saisissais de toutes les occasions pour étudier les originalité celtiques dans l’histoire de l’Eglise, la liturgie en particulier. 

    Par l’incardination je devais être lié au territoire dans lequel j’ai vécu de bien belles choses mais de la Normandie, je ne me sentais pas issu, je ne me sentais pas de la race. 

    Si je parle de race, ici, il convient de l’entendre au sens biblique du mot tel qu’on l’emploie dans certaines traductions du Magnificat (« … en faveur d’Israël et de sa race à jamais… » Lc1,55)c’est à dire de ses descendants, de sa génération, de son peuple. 

    Or je  l’ai dit je ne suis pas de sang breton, mon intégration au peuple breton est culturel, selon un processus d’appropriation correspondant à celui admirablement décrit par Morvan LEBESQUE dans le passage souvent appelé : « La découverte ou l’ignorance » extrait du livre «Comment peut-on être breton aujourd’hui ? Essaie sur la démocratie française» si bellement déclamé sur fond de musique bretonne par le groupe Tri Yann an Naoned. Ainsi, je puis l’affirmer, jamais ma défense des droits du peuple breton ne pourra être suspecté d’un quelconque racisme au sens génétique ou biologique du mot. 


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