• TRADITIONS DE LA BÛCHE DE NOËL

    La bûche de Noël en Bretagne

    (Cette description de la bûche de Noël en Bretagne a été reproduite par un grand nombre de journaux, et revues : les Annales politiques, la Revue française, etc.)

    En Bretagne, la plus grande fête de l'année était la fête de Noël, et ce que nous, pauvres paysans, nous aimions le plus dans cette fête, c'était la Messe de minuit. Maigre plaisir, pour vous autres citadins qui aimez vos aises ; mais qu'était-ce pour nous, paysans, qu'une nuit blanche?
    Même quand il fallait cheminer dans la boue et sous la neige, pas un vieillard, pas une femme n'hésitait. On ne connaissait pas encore les parapluies à Saint-Jean-Brévelay, ou du moins on n'y connaissait que le nôtre, qui était un sujet d'étonnement et d'admiration. Les femmes retroussaient leurs jupes avec des épingles, mettaient un mouchoir à carreaux par- dessus leurs coiffes, et partaient bravement dans leurs sabots pour se rendre à la paroisse. Il s'agissait bien de dormir !

    Personne ne l'aurait pu. Le carillon commençait dès la veille après l'Angélus du soir, et recommençait de demi-heure en demi-heure jusqu'à minuit ! Et pendant ce temps-là, pour surcroît de béatitude, les chasseurs ne cessaient pas de tirer des coups de fusil en signe d'allégresse ; mon père fournissait la poudre. C'était une détonation universelle. Les petits garçons s'en mêlaient, au risque de s'estropier, quand ils pouvaient mettre la main sur un fusil ou un pistolet.
    Le presbytère était à une petite demi-lieue du bourg ; le recteur faisait la course sur son bidet, que le quinquiss (le bedeau) tenait par la bride. Une douzaine de paysans l'escortaient, en lui tirant des coups de fusil aux oreilles. Cela ne lui faisait pas peur, car c'était un vieux chouan, et il avait la mort de plus d'un bleu sur la conscience. Avec cela, bon et compatissant, et le plus pacifique des hommes, depuis qu'il portait la soutane, et que le roi était revenu.

    On faisait ce soir-là de grands préparatifs à la maison. Telin-Charles et Le Halloco mesuraient le foyer et la porte de la cuisine d'un air important, comme s'ils n'en avaient pas connu les dimensions depuis bien des années. Il s'agissait d'introduire la bûche de Noël, et de la choisir aussi grande que possible. On abattait un gros arbre pour cela ; on attelait quatre bœufs, on la traînait jusqu'à Kerjau (c'était le nom de notre maison), on se mettait à huit ou dix pour la soulever, pour la porter, pour la placer : on arrivait à grand-peine à la faire tenir au fond de l'âtre ; on l'enjolivait avec des guirlandes ; on l'assurait avec des trônes de jeunes arbres ; on plaçait dessus un gros bouquet de fleurs sauvages, ou pour mieux dire de plantes vivaces. On faisait disparaître la table du milieu ; la famille mangeait un morceau sur le pouce. Les murs étaient couverts de nappes et de draps blancs, comme pour la Fête-Dieu ; on y attachait des dessins de ma sœur Louise et de ma sœur Hermine, la bonne Vierge, l'Enfant Jésus.

    Il y avait aussi des inscriptions : Et homo factus est ! On ôtait toutes les chaises pour faire de la place, nos visiteuses n'ayant pas coutume de s'asseoir autrement que sur leurs talons. Il ne restait qu'une chaise pour ma mère, et une tante Gabrielle, qu'on traitait avec déférence et qui avait quatre-vingt-six ans. C'est celle-là, mes enfants, qui savait des histoires de la Terreur ! Tout le monde en savait autour de moi, et mon père, plus que personne, s'il avait voulu parler. C'était un bleu, et son silence obstiné était peut-être conseillé par la prudence, dans un pays où il n'y avait que des chouans.

    L'encombrement était tel dans la cuisine, tout le monde voulant se rendre utile et apporter du genêt, des branches de sapin, des branches de houx, et le bruit était si assourdissant, à cause des clous qu'on plantait et des casseroles qu'on bousculait, et il venait un tel brait du dehors, bruits de cloches, de coups de fusil, de chansons, de conversations et de sabots, qu'on se serait cru au moment le plus agité d'une foire.

    A onze heures et demie, on entendait crier dans la rue : Naoutrou Personn ! Naoutrou Personn ! (M. le recteur, M. le recteur). On répétait ce cri dans la cuisine, et à l'instant tous les hommes en sortaient ; il ne restait que les femmes avec la famille. Il se faisait un silence profond. Le recteur arrivait, descendait de son bidet que je tenais par la bride (c'est-à-dire que j'étais censé le tenir, mais on le tenait pour moi ; il n'avait pas besoin d'être tenu, le pauvre animal). A peine descendu, M. Moizan montait les trois marches du perron, se tournait vers la foule découverte, ôtait lui-même son chapeau, et disait, après avoir fait lé signe de la croix: Angélus Domini nuntiavit Mariae ". Un millier de voix lui répondaient.

    La prière finie, il entrait dans la maison, saluait mon père et ma mère avec amitié, M. Ozon, le maire, qui venait d'arriver de Pénic-Pichou, et M. Ohio, le maréchal ferrant, qui était greffier du juge de paix. M. Ozon, M. Ohio étaient les plus grands seigneurs du pays. Ils savaient lire ; ils étaient riches, surtout le premier. On offrait au recteur un verre de cidre qu'il refusait toujours.

    Il partait au bout de quelques minutes, escorté par M. Ozon et M. Ohio, puis, aussitôt, on se disposait à bénir la bûche de Noël. C'était l'affaire de dix minutes. Mon père et ma mère se tenaient debout à gauche de la cheminée. Les femmes que leur importance ou leurs relations avec la famille autorisaient à pénétrer dans le sanctuaire, ce qui veut dire ici la cuisine, étaient agenouillées devant le foyer en formant un demi-cercle.

    Les hommes se tenaient serrés dans le corridor, dont la porte restait ouverte, et débordaient dans la rue jusqu'au cimetière. De temps en temps, une femme, qui avait été retenue par quelques soins à donner aux enfants, fendait les rangs qui s'ouvraient devant elle, et venait s'agenouiller avec les autres. Tante Gabrielle, revêtue de sa mante, ce qui annonçait un grand tralala, était à genoux au milieu, juste en face de la bûche, ayant à côté d'elle un bénitier et une branche de buis, et elle entonnait un cantique que tout le monde répétait en chœur.

    Vraiment, si j'en avais retenu les paroles, je ne manquerais pas de les consigner ici ; je les ai oubliées, je le regrette ; non pas pour vous, qui êtes trop civilisés pour vous plaire à ces souvenirs, mais pour moi. Et, après tout, je n'ai que faire de la chanson de tante Gabrielle, puisque je ne sais plus un mot de bas-breton. L'air était monotone et plaintif, comme tout ce que nous chantons chez nous à la veillée ; il y avait pourtant un crescendo, au moment où la bénédiction allait commencer, qui me donnait ordinairement la chair de poule…
    Jules SIMON.


    La bûche de Noël en Provence

    Les Provençaux apportaient au foyer le joyeux cariguié, ou vieux tronc d'olivier choisi pour brûler toute la nuit; ils s'avançaient solennellement en chantant les paroles suivantes : Caclio fio. Cache le feu (ancien).
    Bouto fio. Allume le feu (nouveau).
    Dieou nous allègre. Dieu nous comble d'allégresse !

    Le plus ancien de la famille arrosait alors ce bois, soit de lait, soit de miel, en souvenir de l'Eden, dont l'avènement de Jésus est venu réparer la perte, soit de vin, en souvenir de la vigne cultivée par Noé, lors de la première rénovation du monde. Le plus jeune enfant de la maison prononçait, à genoux, ces paroles que son père lui avait apprises :
    " O feu, réchauffe pendant l'hiver les pieds frileux des petits orphelins et des vieillards infirmes, répands ta clarté et ta chaleur chez les pauvres et ne dévore jamais l'étable du laboureur ni le bateau du marin. "

    Cette scène si touchante de la bûche de Noël occupe toute une salle du musée d'Arles ; en voici la description : Neuf mannequins de grandeur naturelle sont groupés autour de la cheminée dans laquelle flambe la bûche de Noël. La première personne de gauche est l'aïeul, en costume du dix-huitième siècle. Il arrose, il bénit la bûche avec, du vin cuit et prononce les paroles sacramentelles. Cette formule renferme tout à la fois une prière et d'heureux souhaits pour toute la famille, debout devant la table chargée des plats réglementaires.

    Alègre ! Alègre ! Dieu nous alègre.
    Calendo ven, tout ben ven
    E se noun sian pas mai, que noun fuguen men !
    Dieu vous fague la graci de veire l'an que ven.

    Dieu nous tienne en joie ; Noël arrive, tout bien arrive ! Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine, et si nous ne sommes pas plus nombreux, que nous ne soyons pas moins ! "

    En face, assise, l'aïeule file sa quenouille. Derrière elle, le fermier, aîné des garçons, dit lou Pelot, s'appuie sur la cheminée, ayant sa femme vis-à-vis. A coté du Pelot, sa jeune sœur, souriante et rêveuse ; elle s'entretient avec lou rafi (valet de ferme). Près de la table, à gauche, l'aînée des filles prépare le repas, tandis qu'au fond le guardian, armé de son trident, et le berger avec son chien, se préparent à assister au festin familial. Une jeune enfant écoute religieusement la bénédiction du grand-père (benedicioun d'ou cacho-fio) (Le Museon Arlaten, par Jeanne de Flandreysy).

    Mistral, quand il fut nommé membre de l'Académie marseillaise, en cette langue provençale si colorée, qu'il parle si bien, nous a donné, dans son discours, un tableau pittoresque de cette scène ravissante de la bûche de Noël :
    " Au bon vieux temps, la veille de Noël, après le grand repas de la famille assemblée, quand la braise bénite de la bûche traditionnelle, la bûche d'olivier blanchissait sous les cendres et que l'aïeul vidait, à l'attablée, le dernier verre de vin cuit, tout à coup, de la rue déjà dans l'ombre et déserte, on entendit monter une voix angélique, chantant par là-bas, au loin dans la nuit. "

    Et le poète nous conte alors une légende charmante, celle de la Bonne Dame de Noël qui s'en va dans les rues, chantant les Noëls de Saboly à la gloire de Dieu, suivie par tout un cortège de pauvres gens, miséreux des champs et des villes, gueux de campagne, etc., accourus dans la cité en fête.

    " Et vite alors, tandis que la bûche s'éteignait peu à peu, lançant ses dernières étincelles, les braves gens rassemblés pour réveillonner ouvraient leurs fenêtres, et la noble chanteuse leur disait : " Braves gens, le bon Dieu est né, n'oubliez pas les pauvres ! " Tous descendaient alors avec des corbeilles de gâteaux, et de nougats - car on aime fort le nougat dans le Midi - et ils donnaient aux pauvres le reste du festin ".

    Comment résister au désir que nous avons depuis longtemps de publier la bûche de Noël de Frédéric Mistral qui a bien voulu correspondre avec nous et nous donner des renseignements si intéressants sur les coutumes de Noël.

    Cette description si gracieuse, si poétique, faisait primitivement partie du poème de Mireille : l'auteur a cru devoir la supprimer pour éviter les longueurs. (Il faut être bien puissant et bien sûr de soi pour négliger un tel tableau ou le reléguer dans les bas côtés de son œuvre. Lisons, relisons la traduction de ces beaux vers. Quelle naïveté ! Quelle beauté simple et pieuse ! Quelle rusticité pleine de saveur! De plus, quelle noblesse fière ! Oui, c'est ainsi que doit être sauvée Pâme d'un peuple et maintenue la haute tradition d'un pays. Chaque stance est soutenue par un souffle divin (X***)).

    " Ah ! Noël, Noël, où est ta douce paix ? Où sont les visages riants des petits enfants et des jeunes filles ? Où est la main calleuse et agitée du vieillard qui fait la croix sur le saint repas ?

    " Alors le valet qui laboure quitte le sillon de bonne heure, et servantes et bergers décampent, diligents. Le corps échappé au dur travail, ils vont à leur maisonnette de pisé, avec leurs parents, manger un cœur de céleri et poser gaiement la bûche au feu avec leurs parents.

    Du four, sur la table de peuplier, déjà le pain de Noël arrive, orné de petits houx, festonné d'enjolivures. Déjà s'allument trois chandelles neuves, claires, sacrées, et dans trois blanches écuelles germe le blé nouveau, prémice des moissons.

    Un noir et grand poirier sauvage chancelait de vieillesse. L'aîné de la maison vient, le coupe par le pied, à grands coups de cognée, l'ébranlé et, le chargeant sur l'épaule, près de la table de Noël, il vient aux pieds de son aïeul le déposer respectueusement.

    Le vénérable aïeul d'aucune manière ne veut renoncer à ses vieilles modes. 11 a retroussé le devant de son ample chapeau, et va, en se hâtant, chercher la bouteille. H a rois sa longue camisole de cadis blanc, et sa ceinture, et ses braies nuptiales, et ses .guêtres de peau.

    Cependant, toute la famille autour de lui joyeusement s'agite... - " Eh bien? Posons-nous la bûche, enfants ? - " Allégresse ! Oui ". Promptement, tous lui répondent : " Allégresse. " - Le vieillard s'écrie : " Allégresse ! Que notre Seigneur nous emplisse d'allégresse ! Et si une autre année nous ne sommes pas plus, mon Dieu, ne soyons pas moins ! "

    Et, remplissant le verre de clarette devant la troupe souriante, il en verse trois fois sur l'arbre fruitier. Le plus jeune prend l'arbre d'un côté, le vieillard de l'autre, et sœurs et frères, entre les deux, ils lui font faire ensuite trois fois le tour des lumières et le tour de la maison.

    Et dans sa joie, le bon aïeul élève en l'air le gobelet de verre : " 0 feu, dit-il, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps ! "

    Bûche bénie, allume le feu ! Aussitôt, prenant le tronc dans leurs mains brunes, ils le jettent entier dans l'âtre vaste. Vous verriez alors gâteaux à l'huile et escargots dans l'aïoli heurter dans ce beau festin vin cuit, nougat d'amandes et fruits de la vigne.

    D'une vertu fatidique vous verriez luire les trois chandelles, vous verriez des esprits jaillir du feu touffu, du lumignon vous verriez pencher la branche vers celui qui manquera au banquet, vous verriez la nappe rester blanche sous un charbon ardent et les chats rester muets !


    La bûche de Noël en Normandie

    Voici en quels termes Marchangy (1782-1826) parle de cet usage en Normandie : Le père de famille, accompagné de ses fils et de ses serviteurs, va à l'endroit du logis où, l'année précédente, à la même époque, ils avaient mis en réserve les restes de la bûche de Noël. Ils rapportent solennellement ces tisons qui, dans leur temps, avaient jeté de si belles flammes à rencontre des faces réjouies des convives. L'aïeul les pose dans ce foyer qu'ils ont connu et tout le monde se met à genou en récitant le Pater. Deux forts valets de ferme apportent lentement la bûche nouvelle, qui prend date, comme dans une dynastie. On dit la bûche 1ere, la bûche 2e, la 20e, la 30e, ce qui signifie que le père de famille a déjà présidé une fois, deux fois, vingt fois, trente fois semblable cérémonie.

    La bûche nouvelle est toujours la plus grosse que le bûcheron puisse trouver dans la forêt, c'est la plus forte partie du tronc de l'arbre ou, le plus souvent, c'est la masse de ses énormes racines, qu'on appelle la souche ou la coque de Noël.
    A l'instant où l'on y met le feu, les petits enfants vont prier dans un coin de l'appartement, afin, leur dit-on, que la souche leur fasse des présents, et, tandis qu'ils prient, on met à chaque bout de cette souche des paquets d'épices, de dragées et de fruits confits. Qu'on juge de l'empressement et de la joie des enfants à venir recevoir de pareils présents !

    De nos jours, l'usage de la bûche de Noël tend à disparaître des pays normands.

    Longtemps, les pauvres gens des campagnes, en attendant l'heure de la messe de minuit, ont dû se réchauffer autour de l'énorme bûche éclairant de sa lumière flamboyante la compagnie réunie sous la hotte de la cheminée. C'est assis, devant son brasier, qu'on restait jusqu'au moment où, à travers champs, on allait gagner la pauvre église où devait se célébrer la Messe des bergers. C'est devant l'âtre rougeoyant qu'on se racontait toutes ces légendes merveilleuses de Noël, toutes ces traditions qui, contées par la voix tremblante des aïeules, se sont transmises jusqu'à nos jours : et les pierres tournantes, comme celles de Gerponville, de Saint-Arnoult, de Malle-mains, qui tournent sept fois pendant la nuit de Noël ; et les trésors qui ne se découvrent que lorsqu'on sonne le premier coup delà messe nocturne ; et les feux follets qui dansent pendant la nuit sur les tombes du cimetière et bien d'autres contes fantastiques
    (G. Dubosc. Journal de Rouen, 25 décembre 1898).


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